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Interview Jean Forbin

  • Il y a 10-15 ans, est-ce que quand tu t’imaginais la voile traditionnelle de 2021, tu la voyais comme ça ?

C’était même mieux il y a plus de 20 ans. On a repris la voile en 1987 et en 1994 on avait fait un championnat avec des canots pontés, il y en avait 25. C’était plus familier. Maintenant qu’Hugo domine, la tension est redescendue. Il y avait une petite guerre avec les saintois, mais depuis quelques années, dans l’ensemble de la flotte, ça s’est apaisé un peu. Mais auparavant, il y a 20 ans, il y avait encore moins de tension, c’était plus noble, on mangeait ensemble, on vivait ensemble. Si tu cherchais un maçon pour faire ta maison, tu le cherchais d’abord dans le monde de la voile traditionnelle.

  • Est-ce qu’il y a 20 ans, tu aurais pu imaginer naviguer avec un Thélier ?

Oui, mais en fait, Claude et moi, on a toujours navigué ensemble. Même si on ne naviguait pas sur le même canot, il a commencé avec moi, je faisais des bateaux pour lui. Mais en croiseur, on a fait plein de courses à Saint-Martin, à Antigua, même ici on a fait des match race ensemble. Pendant la guerre des courses, si tu regardes bien, on n’a jamais eu de réclamation l’un contre l’autre. On mangeait même tous les jours ensemble, le dimanche on se faisait la guerre sur l’eau et le lundi on refaisait la course tous les deux à table. Il n’y a pas de guerre entre Claude et moi. Mais maintenant, c’est encore mieux parce qu’on court sur le même canot.

  • Pour toi, qu’est ce qui est le plus important dans un équipage de voile traditionnelle & dans la voile traditionnelle en général ?

Moi j’aime bien la convivialité et être bien avec les gens que j’aime, c’est pour ça que dans mon équipage on est vieux, si je change mon équipage je vais être plus performant, mais au fond je ne changerais mon équipage pour rien au monde. Ce sont mes amis d’enfance, on va finir ensemble : le jour où j’arrête, tout le monde arrête. Mais, mes amis de la voile comme Carl Chipotel, même s’il est plus jeune que moi et qu’il a commencé la voile après moi, on s’entend tellement bien que j’imagine mal une vie sans avoir eu de voile avec Carl. Il n’y a pas que lui, il y a plein d’autres barreurs avec qui j’échange bien. J’aime bien faire la course, mais après la course échanger avec les autres parce que c’est comme ça qu’on progresse.

  • Quelle est la course qui t’a le plus marqué et pourquoi ?

Une fois, c’était une arrivée aux Saintes, à Terre-de-Bas. Pour nous, c’était sûr, c’était une course gagnée. Claude a pris une option, mais tu vois, le genre d’option désespérée. Lui, il a cru voir un nuage (mais c’était faux après discussion tous les deux), il est parti vraiment loin dans le canal. On était tellement loin devant que je ne voyais même plus Claude. Il est arrivé avec un vent, il est passé au large de tout le monde et quand on est arrivé au croisement, on s’est dit « Mè Claude douvan nou lè ga ! ». Il est sorti de nulle part et il a gagné. On en a discuté, j’ai analysé avant et après coup, et non, ce qu’il a fait n’était pas possible. En plus, c’était pendant un TGVT, on était à égalité de point, comme il avait gagné une manche et moi zéro, c’est lui qui a gagné le tour.

  • Une phrase qui te caractérise ?

Soyez irréprochable ! Et avec les ouvriers du chantier, je n’ai pas ça. À chaque fois, je leur dis « ne faites pas pour dire « i bon konsa ! » faites ce que vous pouvez pour aller au mieux de vous ».

  • A quoi ressemblait la première version de ton canot ?

C’était du copier-coller. C’est-à-dire que j’ai copié sur l’existant. Mon premier bateau, c’était un bateau en bois avec mon papa et je lui ai dit « tu ne me dis rien, tu ne fais rien, tu me laisse faire comme j’ai envie ! » Il m’a laissé copier sur sa forme, et j’avais vu quelque chose pour moi, avec une pénétration plus fine à l’avant, je CROYAIS… Et c’est après explication que j’ai compris le problème. Mon père m’a fait un seul reproche, il m’a dit « canot aw la ka semb on sèrkey a cong zot kay koulé on lo èvey ». Et c’est vrai, le bateau allait vite, mais on n’avait pas de stabilité.

  • Penses-tu être arrivé à la version finale de tes canots ou continue-tu à améliorer tes bateaux au fil des années ?

Non, on ne finit jamais. Moi, je cherche toujours à faire mieux.

  • Quel est ton plus bel accomplissement professionnel ?

Avant, les clients antillais assez fortunés achetaient leur bateau moteur aux États-Unis, parce que c’était mieux vu et selon eux, comme c’était plus cher, c’était de meilleure qualité. Mais maintenant, il y en a de plus en plus qui viennent se fournir ici, c’est la preuve que la qualité du travail augmente et qu’elle est bonne.

  • Si tu devais changer une chose à propos de ton travail, qu’est-ce que ce serait ?

Plein de choses.

  • Quelle est la citation qui te parle le plus ?

Avec le respect tu peux tout.

  • Un mot de la fin ?

Le Guadeloupéen doit plus s’intéresser aux métiers de la mer. A force, il y a plein de métiers qui vont se perdre sur l’île.